jeudi 20 décembre 2012

La passation


La passation
La passation est cette phase, plus ou moins longue selon les activités, de transmission des connaissances des anciens, D’Urvilliens chevronnés ayant déjoués tous les pièges de la banquise , aux nouveaux fraîchement débarqués et pas encore totalement sevrés.

Le néophyte dont je fais partie, se distingue aisément de l’hivernant confirmé, et ce, à plusieurs niveaux : tout d’abord, le juvénile arbhorre fièrement ces habits rouges flambants neufs fournis par l’IPEV, vêtements encore vierges de toute déchirure, de fiente d’oiseaux ou autres dessins personnalisés. Ses « SOREL », ces chaussures d’un look douteux, probablement à la mode en URSS dans les années 50, sont elles aussi bien trop en état de marche, pour être honnêtes. Le D’Urvillien en devenir a le pas fébrile sur la banquise, il avance à tâtons, avec prudence, l’appareil photo vissé autour du cou. Il « mitraille » le premier manchot à sa portée oubliant qu’il aura encore maintes et maintes occasions de prendre de bien meilleures photos. L’arrivant se demande encore de quel bâtiment il s’agit quand on lui donne rendez-vous au Siporex, au BCR ou encore à Biomar.

Biomar justement, le labo de Biologie marine où je travaille, a lui aussi connu sa passation entre anciens et les trois nouveaux que nous sommes, un peu moins néophytes que les autres, puisque arrivés ensemble début novembre. Un mois et demi de terrain ont déjà mis à rude épreuve notre beau packetage IPEV, et nous sommes fiers désormais de porter des SORELS trouées (ou en phase de le devenir) et des VTN rouges qui fleurent bon le vomi de pétrel ou le poisson pas frais. Nous sommes en bonne voie, nous marchons dans le sillage de nos prédécesseurs.  La barbe pousse !

Voici donc en images, les « anciens » de Biomar (debout en arrière plan) et les pseudo-juvéniles que nous sommes au premier plan, modestement agenouillés. 


lundi 10 décembre 2012

Un jour en Terre Adélie


Un jour en Terre Adélie
J’ai détecté auprès de certains d’entre vous comme une interrogation quant à la façon dont je vis ici et la manière dont se déroule une journée à Dumont D’Urville. Je vais donc tenter d’apporter des éléments de réponse mais comprenez bien « qu’il n’existe pas de vérité, il n’y a que des histoires » (Jim Harrison). Une citation reprise dans Total Khéops de Jean Claude Izzo, roman que je vous recommande au passage, mais là n’est point le sujet. Sachez également, qu’il n’y a pas deux journées identiques : suivant ce qu’on est venu faire ici ou suivant le temps qu’il fait, le cours d’une journée peut varier fortement. Ceci étant dit, je ne vous mènerai pas en bateau pour autant et m’appliquerai à vous dépeindre ma vision la plus fidèle des choses. Voici donc, décrite de manière succinte, le déroulement d’une journée en cette fin d’année 2012, à la veille de la fin du monde annoncé, sur ce bout de caillou isolé.
Figurez-vous que même à l’autre bout du monde, une journée débute le matin vers 7h. Ni voyez point de moquerie, mais bien une précision car depuis hier, jeudi 06 décembre, le soleil ne se couche plus vraiment. Aussi, si le coeur vous en dit, ou si l’insomnie vous guette, vous pouvez régler votre réveil sur skuarock à 2h du matin, afin d’aller vaquer à vos occupations extérieures. Il vous reste néanmoins à trouver un acolyte noctambule prêt à vous accompagner lors de vos pérégrinations hors base. En effet, pour toute sortie en dehors de l’île des Pétrels, vous ne pouvez être seul et sans liaison radio. La raison étant, vous l’aurez compris, le risque d’accident sur la banquise ou l’égarement dans ce désert blanc. N’étant pas noctambule, mon réveil sonne à 7h.
Au passage, il m’a été posé la question du logement. Dans quoi vis-tu ? Dors tu bien ? Lorsqu’on parle de milieux polaires, les fantasmes les plus fous vont bon train. Heureusement pour nous, les conditions d’hivernage ne sont plus celles des premiers explorateurs, vous l’imaginez bien. Il faut vivre avec son temps et je dois bien l’avouer c’est confortable, même si parfois... Nous dormons donc, non pas dans des cabanons de bois ni sous tentes, mais dans des chambres individuelles en dur, isolées, chauffées, avec de vrais lits, des couettes et non des peaux de phoques. En somme, c’est extrêmement confortable et douillet. En y réfléchissant, la seule contrainte est de devoir parfois partager sa chambre avec un autre « héros polaire en charentaise ». Il en va de même pour la nourriture. Ici, nul besoin d’aller chasser le phoque ou le manchot ou bien encore de pêcher des heures durant pour subvenir à nos besoins élémentaires. Un cuisinier ainsi qu’un boulanger/pâtissier sont présents sur base pour satisfaire nos exigences culinaires. Pour exemple, ce dimanche midi c’était salade de choux rouge en entrée, puis gigot accompagné de pommes de terres rissolées et compote de pommes en dessert, le tout agrémenté d’un côte du rhône, en bouteille s’il vous plaît ! Le vin rouge en bouteille, français de surcroît, est une denrée rare sur base. Il est en effet plus courant, de voir trôner en bout de table un de ces cubis de vin australien que l’on nomme coolabha, cubi que peu d’entre nous s’aventurent à toucher. N’allez pas chercher dans votre guide des vins, vous ne le trouverez pas, à moins qu’il y ait une rubrique «Jus de raisin qui pique» ou « gros rouge qui tâche ».  Nos estomacs se portent donc à merveille. Ca démystifie un peu, n’est-ce pas ?
La courte mais néanmoins raide marche matinale parmi les manchots adélie, qui m’amène du dortoir été (lieu où je me repose) au séjour (lieu où l’on se sustente) m’aide à sortir définitivement de ma torpeur.  Vent frais, vent du matin... Le premier repas de la journée est disponible jusqu’à 8h. Les repas sont, comme à bord de l’Astrolabe, des éléments qui rythment votre journée : déjeuner à midi et dîner servi à 19h15. Il est toutefois possible de déroger à la règle pour des raisons professionnelles. Entre temps, vous travaillez car vous êtes quand même là pour ça. Le soir après le dîner, c’est selon les envies et les humeurs de chacun : discussion autour d’un verre, sorties photos, parties de cartes, séance cinéma ou autre.  
Voilà pour une journée « ordinaire ». Néanmoins, certains évênements viennent bousculer ce rythme établi. Une fois par semaine, le samedi, il est question de ravitailler la cuisine en vivres pour la semaine à venir. Chacun est mis à contribution et une chaîne humaine se forme pour transporter les aliments de leur lieu de stockage à la cuisine. Ensuite deux fois par mois, vous êtes de service base : avec deux autres D’Urvilliens vous endossez le rôle de serveur, plongeur et d’homme de ménage.
Et puis, parfois, l’arrivée d’un bateau vient encore bouleverser tout ça. Demain peut-être...

jeudi 6 décembre 2012

skua rock

Pour les envois de dédicaces musicales sur la radio précédemment citée:

 skuarock@ddu.ipev.fr
 

Une journée à la polynie


Une journée à la polynie
Une polynie est une zone d’eau libre, de taille variable, parmi la glace. Suite aux coups de vent puissants (jusqu’à 170Km/h) des derniers jours, la polynie en face de DDU ne cesse de croître. Pour notre plus grand bonheur, ceux des manchots et de leurs prédateurs, l’eau libre n’est plus qu’à 20 minutes à pied de la base. Mais mieux que des mots, quelques belles images dont je n’ai pas la paternité !
En prime, une photo pour les potos « waxeurs » de planche de BZH : ça surfe aussi en Antarctique !










mercredi 5 décembre 2012

Good morning Adelieland

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Good morning Adelieland

Si un jour, par envie ou par mégarde, vous mettez le pied en Terre Adélie (sait-on jamais !), branchez votre radio réveil et réglez le sur 88FM. Ici, point de Nostalgie, RFM ou autre Rires et Chansons. Pourtant des ondes circulent au dessus de nos têtes. Skuarock,  la radio volatile nous inonde les oreilles quotidiennement (le skua étant le goéland local).

Skuarock c’est une absence de pub, très peu de blabla mais de la musique en continue.

Vous connaissez désormais la fréquence, sachez néanmoins que toute tentative de réglage dans votre cuisine ou votre voiture serait vaine. La radio « made in DDU » reste à DDU et ne s’exporte pas encore, même sur le net. C’est une radio du bout du monde. Cela en fait probablement une des radios les moins écoutées de la planète. Pourtant, chaque année quelques âmes dévouées reprennent le flambeau et perpétuent la tradition « hertzienne ». Très peu de blabla donc, mais suffisamment pour glisser les dédicaces envoyées par vos soins, lors de l’émission hebdomadaire du samedi à 17h30 (heure locale).

Comment ça marche ?

Les dédicaces peuvent être écrites et envoyés par mail, auquel cas, elles seront lues par une personne de l’émission. Vous pouvez agrémenter votre message d’une chanson de votre choix. Le mieux est alors d’envoyer en pièce jointe la chanson que vous avez choisie, car tout n’est pas disponible ici en terme de musique.

Vous pouvez également enregistrer vocalement votre message (beaucoup plus personnel, vous en conviendrez) et l’envoyer en pièce jointe toujours accompagné d’une chanson (ou pas, c’est selon vos envies).

skuarock@ddu.ipev.fr

Vous savez désormais comment fonctionne le volatile. Vous ne pourrez désormais plus dire que vous ne saviez pas. Cependant, ni voyez bien sûr, aucune obligation, sollicitation ou autre, juste une information ... A samedi alors !

PS : Je profite de l’occasion que je m’auto-donne pour remercier Brian Désir, sans qui ce blog ne pourrait vivre. Il fait le lien entre vous et moi, car peut-être ne le savez-vous pas mais je n’ai pas accès à mes propres chroniques! Un scandale !! Merci à toi Poulet.

Une vie de base


Une vie de base
Voilà déjà 3 semaines que je suis ici, au sud de l’hémisphère sud. Le temps passe vite. Il est d’ailleurs temps de parler un peu de la base et de la vie « D’Urvillienne ». Je suis arrivé à Dumont D’Urville avec  la première rotation de l’Astrolabe, R0. Cinq rotations sont prévues chaque année, plus ou moins espacées d’un mois. La prochaine rotation, R1, apportera d’ici quelques jours une quarantaine de nouvelles têtes sur la base, parmi lesquelles, mes futurs compagnons d’hivernage.

Pour le moment, nous ne sommes que trois représentants de la TA63 accompagnés des campagnards d’été (comprenez ceux qui ne restent que durant les 4 mois d’été).  Les 28 hivernants de la TA62 sont donc toujours présents sur base. Nous profitons au maximum de leurs expériences et de leurs connaissances des lieux. C’est la phase de passation. Chacun apprend de son prédécesseur. Pour beaucoup d’entre eux, le départ est proche. D’ici une quinzaine de jours, quand l’Astrolabe aura libéré ces nouveaux arrivants, il remettra le cap vers Hobart avec à son bord, une poignée d’îliens du bout du monde avides de nouveaux horizons, plus exotiques. Il est donc question de retour, de voyage, de l’après. Le contraste est saisissant, pour nous qui venons seulement d’arriver. Alors, je me projette et m’imagine dans un an...

La vie sur base est rythmée principalement par le travail, lui-même fortement dépendant des conditions climatiques. Passé 20-25 noeuds de vent, le travail sur la banquise devient plus difficile. Il faut donc plannifier ses manipulations de terrain les jours de beau temps, pour ensuite se réfugier  au labo quand le blizzard se lève. La météo étant très capricieuse, il faut faire preuve de souplesse et d’adaptabilité. Notre labeur nous occupe 6 jours sur 7 respectant ainsi le traditionnel repos dominical. Le dimanche est destiné à récupérer de la soirée de la veille, à se remettre à jour au niveau des mails, écrire un article sur son blog, à faire sa lessive ou bien à profiter des ballades sur la banquise encore présente. Pour l’avoir testé, il est même possible de faire tout cela à la fois !

Pour l’heure, l’ile est enneigée et la banquise encore bien présente, ce qui me donne le sentiment d’être à la montagne plutôt que sur une île. Dans peu de temps pourtant, le paysage devrait changer considérablement. La neige, blanche et immaculée va disparaître pour laisser la place à la roche et au guano. La banquise quant à elle, va se disloquer sous les assauts répétés du vent et des vagues et la mer libre viendra de nouveau encercler ce rocher.  Le bleu reprendra alors le dessus sur le blanc. Ceci aura pour conséquence de réduire considérablement notre terrain de jeu. Nous deviendrons alors de véritables îliens. 

lundi 26 novembre 2012

L’île des Pétrels, la mal nommée


L’île des Pétrels, la mal nommée
La base française antarctique Dumont D’Urville est située sur une île : l’île des Pétrels, un petit caillou de 500m sur 700m, à proximité du continent. Cette île, accompagnée de nombreux îlots, forme l’archipel de la pointe Géologie .  Au siècle précédent, lorsque l’Homme est arrivé, l’île accueillait une colonie importante de pétrels géants, un oiseau marin d’envergure et au bec puissant. Aujourd’hui, le pétrel a disparu de son île, et on ne dénombre plus qu’une dizaine de couples de cette espèce sur un îlot voisin. Le mont des Géants, promontoire rocheux où jadis les pétrels jouïssaient d’une aire d’envol est aujourd’hui déserté.  L’arrivée et l’implantation de l’Homme a semble-t-il été néfaste pour cet oiseau.

D’autres au contraire, ne semblent pas perturbés outre mesure. Il s’agit des manchots adélie, présents en grand nombre sur l’île : environ 15 000 couples reviennent chaque année pour pondre  parmi la « cohue » estivale de la base. En cette période, l’île est donc une sorte de grande colocation : envrion 80 personnes cohabitent avec près de 30 000 manchots. Cette promiscuité n’est pas sans susciter quelques désagréments dans les deux camps. Les nuisances respectives sont de nature différente : lorsque les manchots nous incommodent avec leurs olfactives déjections (olfactives étant un doux euphémisme) et leurs bruyantes sérénades sous les fenêtres du dortoir, nous les stressons très certainement avec nos incessants va-et-viens en engins chenillés ou volant. Pourtant cette cohabitation se maintient depuis plus de 60 ans. Les adélies sont partout sur l’île ou presque : depuis les promontoires rocheux jusque sous les bâtiments. Ils sont ici chez eux et nous le font fièrement ressentir.  Le manchot adélie est petit comparé à l’empereur ; il ne dépasse pas 6-7 kg quand l’empereur peut en atteindre 40. Mais l’adélie est fier, téméraire et féroce au combat. La femelle pond généralement deux oeufs sur un nid de cailloux. Chaque caillou est précieux pour l’adélie et il n’est pas rare d’assister à des vols de cailloux dans les nids voisins, occasionnant alors de violentes représailles. Le plumage maculé de sang de certains d’entre eux témoigne de l’efficacité et de l’intensité des coups de bec et d’ailerons. Les manchots adélie ne sont pas des résidants permanents de l’île. Ils arrivent généralement fin octobre et repartent en février-mars après s’être reproduit.

Ils sont comme nous, ils ne sont que de passage sur l’île des Pétrels.




mercredi 21 novembre 2012

mail

Bonjour à tous,
il y avait une petite erreur dans la rubrique "me contacter".
Mon adresse mail à l'autre bout du monde est:

tnebout@ddu.ipev.fr 

lundi 19 novembre 2012

Photos manip












Le pêcheur de DDU


Vous lisez ces quelques lignes, vous savez donc que je suis parti en Antarctique pour plus d’une année. En revanche, savez-vous ce que je suis parti y faire concrètement ? Vous savez peut-être que je suis le biologiste marin de Dumont D’Urville. Bon, mais une fois qu’on a dit ça, on a tout et rien dit à la fois. Une brève description de mon travail s’avère donc nécessaire.

J’ai été recruté pour travailler sur deux programmes de recherche :

- REVOLTA (acronyme de Radiations EVOLutives en Terre Adélie). L’idée de ce programme est de réaliser un inventaire de la faune marine benthique de l’archipel de Pointe Géologie. Benthique ? Mais qu’est-ce donc ? Ce terme désigne la faune qui vit en étroite relation avec le fond des mers. Il s’agit par exemple des étoiles de mer, des oursins, des crabes et certains poissons de fond.  A l’inverse, on parle de pélagique pour les organismes vivant dans la colonne d’eau : les méduses, le plancton, certains poissons, les mammifères marins...
Un inventaire pour, d’une part, connaître ce qui vit dans ces mers froides (-1,5°c) et d’autre part, comprendre comment ces espèces se sont diversifiées, à quel rythme. Différentes techniques de laboratoire sont ensuite déployées : de la génétique des populations, de la biologie moléculaire... Certains specimens sont conservés dans de l’alcool en vue d’alimenter les collections du Museum National d’Histoire Naturelle à Paris.
Pour mener à bien cet inventaire, je vais être amené à utiliser  toute sorte d’engins de prélèvements : chalut à perche, filet trémail, nasses, benne, drague et même la canne à pêche !
Je suis donc le pêcheur de DDU.
Durant l’été, à partir de janvier, je travaillerai depuis une embarcation, le seatruck. En hiver, la banquise est formée. Il y a actuellement 1,40m d’épaisseur de glace. Mais alors, comment faire pour pêcher me direz-vous ! Et bien tout simplement en faisant un trou dans la glace pour avoir accès à l’eau libre et ainsi continuer à effectuer des prélèvements. Une fois celui-ci fait, il faut l’entretenir régulièrement afin d’éviter qu’il ne regèle. On peut également continuer à pêcher depuis les « rivières » qui se forment lors de l’écartement des plaques de banquise. Il faut alors être prudent, car l’épaisseur de la banquise aux abords de l’eau est très faible.

- ICELIPIDS (pas d’acronyme juste de l’anglais). Il s’agit ici de suivre les variations de concentrations de biomarqueurs lipidiques (produits par le phytoplancton) en fonction des paramètres environnementaux : l’épaisseur de la banquise, la température de l’eau...Le phytoplancton étant la base de la chaîne alimentaire en milieu marin, l’idée est de suivre le transfert de ces biomarqueurs aux autres organismes (zooplancton, invertébrés, poissons). Sur le terrain, je réalise des carottages de glace, des prélèvements d’eau, des traits de filets à plancton. Tout ceci est ensuite analysé au laboratoire.

Pour chacun de ces deux programmes, le travail se scinde donc en deux étapes : une partie de terrain (en foncion des conditions météo) et une partie en laboratoire où l’on traite et conditionne les échantillons pour une exploitation ultérieure.

dimanche 11 novembre 2012

Premiers pas sur la banquise










Le jour du débarquement

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Le jour du débarquement
Jeudi 08 novembre 2012. L’Astrolabe ne progresse plus, une fois de plus. Mais aujourd’hui, quelque chose a changé dans le décor. Terre en vue ! Un petit caillou agrémenté d’un mât apparaît au loin depuis la passerelle. Dumont D’Urville est là, devant nous.

Après avoir quitté la France le 21 octobre, le voyage touche à sa fin. Nous sommes enfin arrivés à destination. Un long voyage. Un riche voyage.

L’information est alors donnée : « Tenez vous prêt à débarquer en début d’après midi ». Tout le monde semble accorder du crédit à l’information. L’excitation est palpable. Enfin, après 16 jours de mer, nous allons fouler la terre ferme. Les premiers vols débutent. Les passagers quittent progressivement le navire par lot de 3. Je suis sur la quatrième rotation. J’attends  équipé, prêt à vivre mon premier vol en hélicoptère. Mon tour arrive. Nous ne sommes qu’à une dizaine de kilomètres de la base. Le vol ne dure que quelques minutes. Tout va très vite, trop vite. Le décor est grandiose, irréel. Mais où suis-je ? L’hélicoptère se pose, la porte s’ouvre et ça y est, je foule l’île des Pétrels, ma demeure pour les prochains mois à venir. 

Les hivernants de la TA62 sont là pour nous accueillir chaleureusement. J’ai un peu l’impression d’être un invité chez des hôtes. Nous sommes les prochains locataires de ce caillou. Ils n’ont vu aucun nouveau visage depuis mars dernier et semblent heureux de nous découvrir,  à moins que ce bonheur affiché ne soit plutôt lié aux fruits frais et au courrier qu’on leur apporte !

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Mon dortoir pour l’été



L'Astrolabe











mercredi 31 octobre 2012

Journal de bord


Journal de bord
Jour 0 : 23/10/2012
Voilà presque 36 heures que nous avons quitté Paris. La fatigue se fait sentir. Mais nous voilà enfin arrivés à Hobart. Depuis le bus qui fait office de navette, je l’aperçois. L’Astrolabe est là, dans la baie, au bout de ce quai. Il nous attend. Du haut de ses 65 mètres, il me parait désormais bien petit pour affronter l’océan austral. Pas le temps de s’émerveiller, il faut partir ce soir pour éviter le trop gros temps annoncé. La nuit tombe progressivement. Et nous avec. Je regagne ma banette vers 21h. Un lit, un vrai, la nuit s’annonce bonne.
Jour 1 : 24/10/2012
La nuit a été réparatrice. L’Astrolabe tient sa réputation. Il roule. Il roule même beaucoup. La mer a beau être encore relativement clémente, ça gite, ça tangue, ça claque, à tel point que la cuvette des toilettes se transforme en geyser. Mon premier albatros. Un albatros royal. Puis viennent les prions, les pétrels noirs et les albatros timides. Ca vous plonge immédiatement dans l’ambiance ; une immersion dans le grand sud. A bord, le monde se divise en deux : les patchés et les autres. A table, certaines places restent inoccupées ; le mal de mer fait ses premières victimes. Pour ma part, je ne me patche pas et je tiens bon. Le repas du soir reste malgré tout difficile à avaler. Il est 20h30, je regagne ma banette.
Jour 2 : 25/10/2012
6h : il fait déjà bien jour. La mer continue son incessant travail de sape. L’Astrolabe courbe l’échine et encaisse. Je me lève pensant au petit déjeuner. C’est jeudi, et le jeudi c’est croissant. Alors pas envie de rater ça. Mais il faut attendre. A bord, le temps semble s’étirer. Ce sont les repas qui rythment la vie à bord. 7h-11h-18h pour les uns, le tout décallé d’une heure pour les autres. Je suis de la deuxième fournée. Entre temps, on regarde des films, on sieste, on observe les quelques albatros qui nous escortent inlassablement. Chacun tue le temps comme il peut. Tout au long de la journée l’océan se détend, s’apaise à tel point qu’on retrouve du monde à table le soir.
Jour 3 : 26/10/2012
La journée est calme. La mer est presque plate. Nous attendons l’évèvement de la journée avec impatience : le débarquement sur la base australienne de Macquarie des 5 australiens embarqués avec nous. Il est 17h quand ce beau de caillou de 35 km de long et 360 m de haut se dessine à l’horizon, venant rompre l’implaccable horizontalité du grand bleu. En ce troisième jour, la température a considérablement chuté. Nous sommes proches de zéro degré. J’ai pu observer mes premiers albatros à sourcils noirs, pétrels géants, manchots royaux, sternes antarctiques, ainsi que des éléphants de mer. En revanche, les orques me sont passés sous le nez.
Jour 4 : 27/10/2012
Lever 6h. A bord, chacun a son rythme. Certains sont levés depuis 2h du matin, d’autres écraseront jusqu’à midi. La vie est tranquille, on se laisse bercer par le désormais faible roulis de l’Astrolabe. Jusqu’à présent, nous sommes chanceux au niveau des conditions de mer. Néanmoins, celles-ci se dégradent dans l’après midi et durant la nuit. L’Astrolabe roule à nouveau fortement d’un bord à l’autre.
Jour 5 : 28/10/2012
Il a été difficile de trouver le sommeil cette nuit, tant il était compliqué de rester immobile quelques secondes dans sa banette. Encore un réveil matinal. Les jours rallongent. Je me lève à 6h et le soleil est déjà haut dans le ciel. La température de l’eau de mer est descendue en dessous de 0°C. Il a neigé sur le pont ce matin. 21h, je suis en salle informatique, quand j’entends l’Astrolabe gronder, ça vibre... Nous y sommes, les premières glaces sont là, tout autour de nous. . .. Comme pour nous souhaiter la bienvenue dans cet univers immaculé, les pétrels des neiges viennent survoler le navire. Un instant magique.
Jour 6 : 29/10/2012
Nous sommes rentrés dans la banquise depuis hier soir. L’avantage, c’est que le bateau ne roule plus. La nuit n’en a été que meilleure. Et quelle vision ce matin au réveil ! Le bateau continue sa lente progression vers notre but : DDU. La glace est praticable et nous arrivons à nous frayer un chemin. Nous ne sommes plus qu’à 450 km de la base lorsque le bateau s’immobilise pour la première fois. La glace s’épaissit, se densifie. Les deux hélicoptères sont sortis du « garage » et installés sur le pont. Un vol de repérage est alors programmé. Il est 21h lorsque l’Astrolabe remet les gaz et avance de nouveau à taton, cherchant une issue dans ce labyrinthe de glace.
Jour 7 : 30/10/2012
De nombreux bruits de coursive circulent quant à notre position et notre arrivée possible à DDU. Il est difficile de pronostiquer quoi que ce soit, tant les conditions de glace peuvent évoluer dans un sens comme dans l’autre. Pour l’heure, nous n’avançons plus. Un petit bloc de glace nous empêche de progresser. Il faut s’armer de patience. Partie de cartes, film, lecture, observations à la passerelle sont parmi les moyens de tuer le temps. Dehors, le jour est gris et la neige tombe. Une ambiance étrange, apaisante. Nous sommes les otages de la banquise, pour combien de temps encore...

dimanche 21 octobre 2012

C'est l'heure...


Voilà une dizaine d’années que ce bout de continent blanc traîne dans un coin de ma tête. Et enfin, ce rêve lointain est à ma portée. 15 mois en Terre Adélie, à 17 000 km de chez moi. Le départ est imminent. L’Astrolabe m’attend déjà à l’autre bout de la planète. D’ici quelques jours, je serai à son bord pour une traversée qui promet d’être mouvementée. C’est un mélange d’excitation et d’appréhension. Un départ vers l’inconnu, vers une aventure unique, exceptionnelle. De nombreuses images se bousculent, s’entrechoquent :  des images de glace, de blanc, de bleu...Un univers minéral où pourtant la vie foisonne de l’autre côté du miroir. Je serai le biologiste marin de Dumont D’Urville.

Je mesure la chance qui est la mienne de bientôt fouler cette terre destinée à la paix et à la science. Peu de gens ont l’opportunité de parcourir ces contrées reculées et d’y séjourner. Malgré tout, certaines personnes de mon entourage, peut-être beaucoup d’ailleurs, me considèrent comme un peu « fou » de faire le choix de partir aussi longtemps, aussi loin, de me retirer du monde des Hommes.
Alors, quel est cet élément moteur qui pousse des gens comme moi à quitter leur famille, leurs amis, leur quotidien confortable et douillet pour une situation extrême et délicate.
Pour ma part, c’est cet esprit d’aventure, de découverte. Dans un monde désormais « fini », où les grandes explorations des siècles précédents n’ont plus lieu d’être, où cette quête de terres nouvelles, perdues ou légendaires est obsolète, j’ai le sentiment que l’Antarctique reste le seul et unique continent où cette part de rêve subsiste encore. L’Antarctique exerce une sorte d’attraction, de fascination où l’imagination a encore le droit de citer.  

Il est évident que partir vivre plus d’une année sur une base scientifique en Antarctique n’est pas sans susciter quelques craintes. On se pose beaucoup de questions. L’éloignement, l’isolement, le froid, le confinement, la promiscuité, la nuit quasi permanente au plus fort de l’hiver, constituent autant de paramètres susceptibles d’influer sur le moral et de fait, modifier le comportement. Ma plus grande appréhension finalement c’est moi ; ou plutôt, ma réaction face à tous ces éléments nouveaux. Quel sera mon comportement face à l’isolement? Vais-je supporter mes 25 compagnons d’hivernage ? Comment vais-je réagir face à l’inéluctable routine qui s’installera sur la base durant l’hiver? Supporterai-je les conditions climatiques? Autant de questions qui trouveront leurs réponses dans les mois à venir.

Un  tel voyage nécessite un minimum de préparation et d’organisation. La première étape a consisté à remplir de manière la plus intelligente possible les trois malles autorisées. Emmener un peu de chez soi pour se réchauffer le cœur (et la panse) dans les moments difficiles, c’est important. 120 kg de matériel sont autorisés. C’est énorme me direz-vous, mais on y arrive plus vite qu’on ne le pense.  Passé l’étape de la constitution des malles et de leur acheminement, je me suis confronté aux joies des procédures de résiliation de contrat en tout genre : internet, téléphone, mutuelle, assurance voiture...et j’en passe. Vient ensuite la semaine de séminaire à Brest où l’on rencontre ses futurs compagnons de vie et où on vous informe sur les conditions de vie en Antarctique. Si vous êtes effrayés à l’issue de cette semaine, dîtes-vous de toute façon que c’est trop tard, vous avez signé! Bien évidemment, entre tout ça, vous faîtes le plein de vie. Vous profitez au maximum de vos proches, vous passez un dernier week end à Venise. Une succession de repas et d’apéros. L’occasion de revoir des gens que vous n’auriez peut être pas pris la peine d’appeler dans d’autres circonstances. 

Puis c’est le moment de dire au revoir, de faire son sac. Encore un bagage, un dernier, celui qui vous accompagnera à bord de l’Astrolabe. Le train siffle. C’est l’heure de partir.

Prenez soin de vous